Chaque mois, Emmanuel Mousset s’entretient avec celles et ceux qui façonnent à leur manière l’histoire de notre ville. Pour cette nouvelle rencontre, c’est Dominique Barrère, conservatrice en chef du patrimoine, qui s’est prêtée au jeu. Une femme discrète qui croit dur comme fer au rôle déterminant des vieux papiers. De quoi peut-être incarner la mémoire de Saint-Quentin…
Dominique Barrère est la mémoire de la Ville et de ses habitants, élargie à l’Agglomération : conservatrice en chef du patrimoine. Elle m’a apporté une poupée : « Monsieur l’archiviste », confectionnée par sa grand-mère, pour rassurer les visiteurs qui n’imaginaient pas, au début de sa carrière, que la fonction puisse être tenue par une jeune femme. C’est adolescente qu’elle commence à fouiller dans les vieux papiers : les registres paroissiaux que son père, pasteur à Saint-Quentin, a entreposés, faute de place, dans… les toilettes du domicile familial. Dominique s’amuse à faire la généalogie de ses coreligionnaires.
Elle voit le jour à Niort, en 1960, mais passe son enfance à Valentigney, dans le Doubs, en terre protestante et fief de la famille Peugeot. En mai 68, la petite Dominique a la coqueluche et s’effraie de voir et d’entendre les manifestants. Encore aujourd’hui, sans a priori politique pourtant, ce mauvais souvenir l’empêche de descendre dans la rue. En 1975, le pasteur est affecté à la paroisse de Saint-Quentin, où l’église réformée est peu nombreuse. C’est par le monde associatif que Dominique Barrère s’intégrera à la ville. De l’appartement au 8, rue de la Comédie, elle apprécie la musique qui vient d’à-côté : le Groupe folklorique picard répète des chants et des danses du monde entier. Elle adhère et y rencontre quelques années plus tard son futur mari. Ensemble, ils participent à des tournées à travers la France.
La règle des 4 C : collecter, classer, conserver, communiquer
Dominique Barrère poursuit ses études à Paris, en fac d’histoire, et rédige un mémoire sur la danse bretonne. Après une licence d’archiviste passée à Mulhouse, elle retrouve Saint-Quentin en 1981. A l’époque, dans toutes les municipalités, les archives locales s’accumulent, il faut des spécialistes pour les traiter. Chez nous, elles ont été stockées dans la bibliothèque municipale et les sous-sols de l’hôtel de ville ! Un poste est créé pour s’en occuper : Dominique découvrira plus tard, dans les archives, qu’elle était la seule candidate ! 38 ans après, elle est toujours là, aidée par deux agents : « Je suis casanière, ça me va très bien ».
En 1982, les archives déménagent au 7, rue du Gouvernement et se constituent en véritable service. Le métier est régi par les 4 C : collecter, classer, conserver, communiquer. L’état d’esprit est à la rigueur et à la minutie : « Un article déclassé est un article perdu », fait remarquer Dominique Barrère. Cette rectitude professionnelle n’est-elle pas liée aussi à sa foi qui passe pour austère ? Elle rit du cliché mais observe que beaucoup d’archivistes sont protestants ! Elle a été conseillère presbytérale pendant 13 ans, chargée de préparer la liturgie. La lecture régulière de la Bible nourrit son existence. Les archives, c’est la mémoire et le livre, si chers au cœur des luthériens.
En 2005, le service s’installe dans son lieu actuel, au 53, rue Henry-Dunant. Le bâtiment a des allures de bunker, isolé et protégé. C’est une apparence : l’an dernier, 266 visiteurs sont venus consulter et 820 demandes ont été traitées. Dominique Barrère travaille dans une solitude nécessaire à la concentration, mais ses contacts sont permanents avec la Municipalité, l’Agglomération et le public. Une ville pas plus qu’un être humain ne peut se passer de mémoire.
Les 3,2 kilomètres de rayonnage réservent quelques surprises : en 1919, le conseil municipal voulait construire un centre nautique à la place des marais d’Isle. Ou bien cet étrange acte de baptême au début du XVIIIe siècle, où les naissances hors mariage sont nombreuses : « Né d’une femme masquée accompagnée d’un homme masqué dans la rue Saint-André ». Et les archives municipales n’ont pas livré tous leurs secrets ! Parmi les passages, notons celui du célèbre organiste André Isoir, venu s’enquérir il y a quelques années des partitions de Bernard Jumentier, maître de chapelle à la basilique.
Du petit rat de l’opéra au rat de bibliothèque
Dominique Barrère marie humour et passion : « Enfant, j’ai été petit rat de l’opéra, je suis devenu rat de bibliothèque et le rat est mon signe astrologique chinois. » Mais aucun rongeur ne perturbe ses archives, contrairement au préjugé. Ce portrait achevé, soigneusement conservé, rejoindra les milliers de documents, pour les prochains siècles.