L’invité de Mousset

Nouvelle rencontre pour Emmanuel Mousset qui, chaque mois, s’entretient autour d’un café avec celles et ceux qui façonnent l’histoire de notre ville. Voici cette fois Agnès Villain, l’emblématique
conservatrice du musée des Papillons qui, en juillet dernier, a également été nommée conservatrice du musée des Beaux-arts. Une double casquette aux couleurs de la science et de l’art…

Agnès Villain est l’actuelle conservatrice des deux musées de Saint-Quentin, les Papillons et les Beaux-arts Antoine-Lécuyer. Enfant, d’un milieu ouvrier, elle n’est pas habituée à fréquenter les musées. Mais la nature l’attire : dans ses promenades, elle ramasse des cailloux, observe les fleurs, s’intéresse aux insectes. Son musée à elle est en plein air. à 12 ans, visitant celui d’histoire naturelle de Toulouse, l’un des plus grands de France, elle est fascinée par un squelette de baleine. Une vocation s’installe progressivement.
Au début des années 90, étudiante à Reims en sciences naturelles, elle songe à devenir enseignante. Apprenant que le musée des Papillons vient de créer un service éducatif et souhaitant rester dans sa ville natale, elle est recrutée en novembre 1996, sous la direction de Serge Boutinot, auquel elle succède deux ans plus tard. Son travail consiste alors à développer les contacts avec l’Education nationale : faire venir les élèves, rédiger des fiches pédagogiques, organiser des expositions pour le plus grand nombre.

Inventorier 600 000 insectes : un vrai travail de fourmi !

C’est une petite révolution : redonner vie à une nature morte d’animaux séchés et épinglés, passer de la simple collection un peu vieillotte à la présentation scientifique plus attrayante. Avant l’arrivée d’Agnès
Villain, il n’y avait pas d’inventaire des spécimens ; elle se lance dans ce travail de fourmi qui n’est pas encore terminé aujourd’hui : 130 000 insectes ont tout de même été vérifiés sur à peu près 600 000 ! La réserve, c’est un musée caché dans le musée, beaucoup plus grand que lui. Il y a tant à faire qu’Agnès Villain recrute en 2013 un agent chargé du secteur éducatif afin de pouvoir se consacrer pleinement au classement des collections.
2015 est l’année de la rénovation : le musée des Papillons ferme un temps, puis sort de sa chrysalide, tout beau tout neuf. La scénographie est plus ludique, plus pédagogique. Avant, « ne pas toucher » était la règle : avec les modèles en 3D, c’est permis. En janvier prochain, le « Tactile Tour » permettra aux non voyants de profiter des richesses du musée. Agnès Villain cite les réactions les plus fréquentes des visiteurs : « C’est incroyable ce que la nature peut faire ! » « A quoi ça sert, les insectes ? » Et puis, il y a les mots d’enfants : « C’est toi qui les a capturés ? » « C’est un beau cimetière ».
En 2021, Agnès Villain se lance un nouveau défi, à la fois professionnel et personnel : préparer le difficile concours de conservatrice. Elle redevient étudiante mais, riche cette fois de son expérience, elle réussit du premier coup le challenge. En détachement de 2022 à 2023, elle se forme au sein de l’Institut national du patrimoine à Paris et effectue plusieurs stages en France et à l’étranger, notamment au musée d’histoire naturelle de Neuchâtel en Suisse. Le 1er juillet de cette année, c’est la consécration : aux Papillons lui est attribuée la direction du musée des Beaux-arts
Antoine-Lécuyer avec la mission de constituer un « pôle muséal », une dynamique globale entre les deux structures. Quel rapport entre les insectes et les pastels ? Observez un papillon ou un scarabée : ce sont des œuvres d’art. Regardez les tableaux : la nature est partout présente. Il y a de l’art dans la science et de la science dans l’art.
Quelques curiosités au musée des Papillons : le plus petit animal présent est la bête d’orage, le plus exotique le papillon de Formose, aux couleurs du drapeau français ! Croyez-vous qu’on ne trouve que des insectes ? Non, il y a aussi des bocaux de reptiles, un rostre de poisson-scie (avec presque toutes ses dents !) et même une défense de mammouth. Quel est le spécimen préféré d’Agnès Villain ?
« L’Uranie de Madagascar, Chrysiridia ripheus de son nom savant. Des phénomènes d’optique lui donnent de magnifiques couleurs irisées. Ce papillon nocturne passe pour être le plus beau du monde. »
Agnès Villain se veut l’avocate des insectes, ces mal aimés. C’est souvent la petite bête qu’on écrase. L’épisode des punaises de lit n’a rien arrangé à leur réputation. Pourtant, ils sont beaux, utiles et pour la plupart inoffensifs. Dans les maisons, ce sont nos compagnons quasi invisibles et très nombreux. Ils ont occupé la Terre des millions d’années avant l’homme et seront les seuls survivants d’une catastrophe nucléaire, un jour peut-être les maîtres du monde. Ne détruisez jamais chez vous les toiles d’araignée, merveilles d’architecture. De toute façon, c’est peine perdue : elles sont obstinées, elles retisseront leurs filets. Oui, les insectes méritent admiration et respect.
Madame la conservatrice ne manque pas de travail : elle doit rédiger le projet culturel et scientifique d’Antoine-Lécuyer. Pour les Papillons, l’ambition est d’attirer des chercheurs, des universitaires. Vers Noël paraîtra pour la première fois un programme commun aux deux musées. L’an prochain, nous fêterons le 320ème anniversaire de la naissance de Maurice-Quentin de La Tour. Mais le prochain événement très attendu aura lieu le 15 décembre : la réouverture de l’étage rénové d’Antoine-Lécuyer qui exposera tous les trois ans, autour d’un thème, des œuvres inédites de la réserve. Le même jour sera présentée une nouveauté, le « Guide des collections ». Les Saint-Quentinois croient connaître à peu près tout de leurs musées ; en réalité, il reste énormément à découvrir et à redécouvrir. C’est la tâche qui revient à Agnès Villain.