L’invité de Mousset

Inlassablement, Emmanuel Mousset poursuit ses rencontres avec celles et ceux qui façonnent l’histoire de notre ville. Voici cette fois un visage bien connu des Saint-Quentinois : celui de Bertrand Samimi, l’animateur phare de MAtélé, la chaîne qu’il a concouru à créer voici dix ans. S’il est devenu une personnalité publique, rares sont ceux qui savent que sa passion pour la télévision a directement un lien avec ses origines iraniennes…

Vu à la télé et reconnu dans la rue : Bertrand Samimi est arrêté parfois pour des autographes ou des selfies mais ne se prend pas pour une vedette. « Pour les Saint-Quentinois que je rencontre et qui regardent MATélé, je fais partie de la famille, un peu comme un cousin. » Mais derrière l’image de celui qui apparaît à l’écran se cache une incroyable histoire.
Le rédacteur en chef de la télévision axonaise est franco-iranien, né à Téhéran en 1967. Sa grand-mère picarde tombe amoureux fou d’un iranien et le suit, devenant la première française à s’installer dans ce pays musulman. Ingénieur, elle commercialise avec succès une pastille à assainir l’eau. Le mari astronome donne son nom à une étoile qu’il a découverte : Mahmoudi. La famille est très proche du roi, travaillant indirectement pour lui.
Le petit Bertrand est un miraculé de la vie. Par défaut d’une ventilation du cerveau, il est déclaré mort-né par le médecin. Celui-ci trébuche sur la pompe de la couveuse qui réanime alors brutalement l’enfant. Pendant dix ans, il vivra dans la crainte des séquelles. A l’école mi-coranique mi-catholique, il apprend le persan. Sa mère Bernadette est musicienne, son père Bahram est un militaire haut gradé, chef d’orchestre dans l’armée. En 1971, Reza Pahlavi, Shah d’Iran, le charge de faire de la télévision nationale la plus belle du monde, à travers une émission musicale dans le cadre du 2 500ème anniversaire de l’Empire perse, les fastueuses fêtes de Persépolis. L’enfance de Bertrand Samimi se passe à suivre son père sur les plateaux, dans les régies, pendant les enregistrements. Très jeune se développent en lui le sens de l’image, le goût de la production.

« Thierry Ardisson ? J’en suis fan, il a bousculé les codes… »

En 1979, la monarchie est renversée, l’Iran devient une république islamique. Bernadette et ses trois enfants rejoignent la France, à Clermont dans l’Oise, sa ville natale. A 12 ans, Bertrand doit s’adapter à une autre vie : « J’étais différent de mes camarades, je n’avais pas la même culture. C’était pour moi une nouvelle naissance. » Là encore, le miracle opère grâce à l’éducation acquise à Téhéran qu’il réinvestit dans le collège français. Il intègre le lycée à Creil, dans la série F5, optique, électronique et physique, confirmant sa passion pour l’image, puis poursuit en classes préparatoires de mathématiques à Edouard-Branly, à Amiens.
Comme ses grands-parents, Bertrand Samimi se destine à être ingénieur : il étudie un an seulement à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs (ENI) à Brest. « J’ai fait alors une crise d’adolescence tardive. Jusque-là, je suivais ce qu’on me demandait. » Sans grande motivation, il retourne à Amiens en fac de maths. Son rêve, c’est de produire des films, utiliser du matériel, rencontrer des gens. Encore un miracle : collaborant avec une entreprise, elle lui apprend qu’une section de BTS audiovisuel vient d’ouvrir au lycée expérimental Henri-Martin, à Saint-Quentin. Cette fois, Samimi a trouvé la voie qui l’enthousiasme.
Dans la nouvelle structure, tout est à inventer, étudiants et enseignants sont sur un pied d’égalité. Bertrand Samimi s’achète une caméra. BTS en poche, il se rend à Paris, travaille comme intermittent du spectacle pour plusieurs chaînes de télévision et boîtes de production. Le technicien est désormais artiste, il privilégie la création. Il est confronté à deux révolutions successives dans le monde de l’image : l’analogique puis le numérique. « Mon métier change sans cesse parce que la technologie est sans fin. Il faut de la passion pour réussir, la formation vite dépassée ne suffit pas. » Le lycée Henri-Martin l’appelle : l’ancien étudiant devient enseignant, il introduit dans le BTS le numérique qu’il maîtrise très bien.
Mais Bertrand Samimi a rapidement une autre idée en tête : concevoir un média local. Ce sera « Saint-Quentin TV », première web télé de France, avec un coup d’éclat : en 1999, la retransmission en direct de l’éclipse totale du Soleil sur plusieurs points du territoire. Il veut aller plus loin, lancer une chaîne de télévision. Le projet a mis du temps, il a fallu trouver des partenaires, convaincre les élus : MATélé est née, elle a fêté l’an dernier son dixième anniversaire. Elle a été la première en Europe à diffuser un conseil municipal en direct. Pour défendre son bébé, Samimi est intarissable : « Je veux parler des gens aux gens, montrer ce qu’ils sont et ce qu’ils font, évoquer leur quotidien. A l’heure de la mondialisation, il est bon de faire appel à des valeurs de proximité. Je crée de la cohésion, de la fierté, de l’appartenance. »
Comme beaucoup de sa génération, Bertrand Samimi est un « enfant de la télé ». Sa référence, c’est Thierry Ardisson : « J’en suis fan. Sa liberté est exceptionnelle, il a bousculé les codes, il a cherché à être différent. Moi aussi, à ma manière. » Autre modèle : les Carpentier et leurs émissions de variétés. L’homme de médias n’est pas non plus dupe des évolutions actuelles : il est très préoccupé par le deepfake qui rend le vrai et le faux indiscernables. « Il est urgent d’éduquer à l’image, d’authentifier les sources et de les multiplier. C’est le rôle de tous. » Pour finir, presque gêné d’avoir tant parlé de lui, il insiste sur la dimension collective de son travail, les nombreuses rencontres qui ont contribué à son parcours personnel. « MATélé sans son équipe n’est rien. » Ils sont treize à faire vivre la télévision locale. Ce portrait leur est aussi dédié.