Vingt ans après « Inch’ Allah dimanche », Yamina Benguigui, la plus saint-quentinoise des réalisatrices, vient enfin de sortir sur grand écran son tout nouveau film : « Sœurs ». L’histoire ? Celle de trois sœurs franco-algériennes, Zorah, Nohra et Djamila, qui rêvent de retrouver leur frère Rheda, enlevé par leur père et caché en Algérie. Apprenant que leur père est mourant, elles décident d’aller à sa rencontre de l’autre côté de la Méditerranée avec l’espoir qu’il leur révèle où se trouve leur frère… Pour réaliser ce film très intimiste, Yamina Benguigui a réuni trois actrices de talent, un trio formidable composé d’Isabelle Adjani, Rachida Brakni et Maïwenn. Excusez du peu ! N’oubliant jamais la ville où elle a grandi, Yamina est venue le 21 juin dernier présenter son film en avant-première au CGR Cinéma. L’occasion d’échanger avec le public tout en savourant le plaisir de se retrouver dans une salle obscure. Rencontre…
Comment est née l’histoire de ces trois sœurs à la recherche de leur frère disparu ?
– Yamina Benguigui : « Disons que cette histoire est à 30 % autobiographique dans la mesure où ma famille a connu ce drame qu’est le rapt d’enfant. C’est précisément ce drame qui m’a donné envie d’écrire l’histoire de « Sœurs ». C’est un film qui pointe du doigt toutes les difficultés de notre génération, de la composante française issue de l’immigration à dire « je », à raconter son histoire. D’ailleurs, est-ce qu’on peut écrire l’histoire de sa famille ? C’est un débat universel mais chez nous, c’est encore plus complexe dans la mesure où la parole est taboue. Parler, c’est trahir… »
Vous avez réuni un sacré trio d’actrices pour interpréter les rôles phares. Comment s’est déroulé le tournage, notamment avec Isabelle Adjani ?
– Yamina Benguigui : « Isabelle est une immense actrice de renommée mondiale. Ce que j’ai aimé, c’est qu’elle a dit immédiatement « oui » au projet. Même chose pour les autres actrices. Toutes les trois ont un lien très fort puisqu’elles sont toutes franco-algériennes. C’était important, la base du casting. J’avais envie d’aller puiser dans notre histoire pour devenir les ferments d’une fiction. Et je dois dire qu’Isabelle Adjani s’est formidablement prêtée au jeu. »
C’était pour vous une vraie volonté de mettre en avant dans ce film des personnages de femmes ?
– Yamina Benguigui : « Ah oui ! Vous savez, je pars du principe que les acquis des femmes ne seront jamais des acquis. Nos mères se sont battues pour leur émancipation, grandir dans un pays étranger, élever des enfants et un jour essayer d’exister par elles-mêmes. C’est une lutte qui laisse beaucoup de traces. Le combat des femmes n’en est qu’à ses balbutiements. On l’a vu récemment avec ces histoires terribles de violences domestiques, de féminicides. Mon histoire appartient aux années 70-80 mais aujourd’hui, on en est au même point. Les rapts d’enfants existent toujours, rien n’a changé. Quand on veut punir une maman, le patriarcat sait toujours s’exprimer. Mais je n’ai pas souhaité réaliser un film contre les hommes. Au centre de mon travail, il y a les femmes mais aussi le rôle du père… »
Comment avez-vous vécu toute cette période de confinement qui a mis le monde du cinéma entre parenthèses ?
– Yamina Benguigui : « Je crois que c’est la première fois qu’on s’est dit que peut-être tout est mort. On ne voyait pas le jour où les salles de cinéma allaient rouvrir. Cette maladie cochait toutes les cases pour nous éliminer. Le rassemblement était proscrit, la notion même d’être ensemble devenait un danger. Il a fallu a qu’il y ait une bonne étoile, qu’il se passe quelque chose pour nous délivrer. Notre métier a été en danger et il le reste encore. C’est dire que je savoure d’être ici ce soir pour présenter mon film au public. »
Vous êtes née à Lille mais vous avez grandi à Saint-Quentin. Vous êtes attachée à cette ville ?
– Yamina Benguigui : « Très ! C’est la ville où j’ai grandi. Quand je suis arrivée ici, je n’avais que quelques mois. Saint-Quentin a une luminosité à part, c’est la ville de mes rêves, ceux qui me disaient qu’un jour, j’allais partir pour faire du cinéma. Mais il n’a jamais été question pour moi de tourner le dos à Saint-Quentin. Je trouve cette ville très télégénique, elle a une histoire, des murs, une couleur. Je suis naturellement consciente des problèmes rencontrés par les habitants, je sais que la vie n’est pas facile tous les jours. Mais je trouve malgré tout que Saint-Quentin est une ville cinématographique, on peut y raconter mille histoires ! » B.D.