Un monument éphémère

C’est un monument taillé dans le bronze et le granit qui, fort logiquement, aurait dû résister aux assauts du temps. C’était sans compter sur nos « amis » allemands, qui ont réduit sa durée de vie à trente-six ans seulement… Mais commençons par le début. Nous voici en 1879, année durant laquelle le conseil municipal de Saint-Quentin donne son feu vert à Edmond Turquet, à la fois député de l’Aisne et sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, qui souhaite faire ériger un monument célébrant la résistance des Saint-Quentinois face aux Prussiens lors de la guerre de 1870. Une démarche ô combien patriotique qui, deux ans plus tard, se concrétise par l’inauguration sur la place du Huit-Octobre d’un monument baptisé « La défense de Saint-Quentin ». Une œuvre de 7 mètres de haut, dont l’auteur est loin d’être un inconnu puisqu’il s’agit du sculpteur Louis-Ernest Barrias, illustre lauréat du prix de Rome en 1865.
Un piédestal en granit surmonté de statues en bronze, voilà à quoi ressemble ce monument commémoratif qui rend hommage à deux batailles mémorables menées par les Saint-Quentinois : celle du 8 octobre 1870 aux accents de victoire, et celle du 19 janvier 1871 teintée d’amertume puisque synonyme de défaite, mettant fin aux espoirs français de briser le siège de Paris. Du reste, la guerre franco-allemande de 1870, dont on commémore cette année les 150 ans, reste à classer parmi les mauvais souvenirs, avec notamment la perte de l’Alsace-Lorraine…
Allez, retour en 1881 pour admirer l’œuvre de Barrias. Côté bronze, voici une allégorie de la ville de Saint-Quentin avec cette femme au regard fier, coiffée d’une couronne crénelée et habillée comme une ouvrière, tenant quenouille et rouet, symboles de l’industrie textile alors en plein essor. D’une main protectrice, elle soutient un homme blessé au combat, dont on sent la dernière heure arrivée. Mais dans son dos, un jeune garçon (son fils ?) s’apprête à récupérer son fusil pour reprendre le combat… Un éternel recommencement que la France et l’Allemagne ont, durant des décennies, imposé à leur peuple dans la douleur et dans le sang. Nous voici maintenant en 1917 et ceux qu’on appelle les Boches ignorent encore qu’ils vont perdre la Grande Guerre. Ce qui ne les empêche pas, cette année-là, de fondre les bronzes de « La défense de Saint-Quentin », monument dont le musée Antoine-Lécuyer présente une reproduction au 1/10e. Une œuvre miniature placée au cœur de l’expo consacrée à l’œuvre éphémère de Barrias. Ou quand les petites histoires racontent la grande Histoire…

Expo « La défense de Saint-Quentin » : jusqu’au 19 janvier au musée Lécuyer. Entrée : 2,50 €.