Ecrivain à succès, membre du jury Goncourt, Eric-Emmanuel Schmitt est l’auteur de « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran », un texte écrit voici vingt ans et qui a fait le tour du monde ! L’histoire ? Celle de Momo, un jeune garçon juif qui, dans le Paris des années 60, va se lier d’amitié avec Monsieur Ibrahim, le vieil épicier arabe du coin de la rue… Un hymne à la tolérance qu’Eric Emmanuel Schmitt viendra présenter le 15 novembre prochain sur la scène du Forum de Chauny. Un spectacle intimiste qui donne à chacun l’envie d’ouvrir les yeux et tendre la main. Rencontre…
Dans « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran », il est beaucoup question de tolérance et de bienveillance entre les communautés. Existent-elles vraiment ?
– E-E.S. : « On peut effectivement en douter dans la mesure où les gens se raidissent de plus en plus sur des positions identitaires… Monsieur Ibrahim, c’est l’histoire d’un épicier musulman qui voit dans un petit garçon non pas l’enfant juif mais un garçon à la dérive. De même, Momo, le garçon en question, voit dans l’épicier non pas un musulman mais un homme plein de tendresse qui va peut-être pouvoir remplacer ses parents défaillants. Mon but, dans tous mes écrits, c’est toujours d’aller au-delà des apparences, des clichés, pour faire en sorte que les hommes se rencontrent sur l’essentiel. »
Ce texte a vingt ans. Qu’est-ce qui a changé en l’espace de deux décennies ?
– E-E.S. : « à l’époque, notre attitude par rapport à l’islam était une attitude d’ignorance. Moi, à travers ce texte, je souhaitais proposer un voyage dans une lecture de l’islam qui est le soufisme, une très belle mystique, un peu marginale d’ailleurs, qui conduit à prier en dansant et qui prône une certaine liberté. Aujourd’hui, le texte n’a pas changé mais le contexte oui. Le rapport à l’islam est toujours un rapport d’ignorance, mais il s’est aussi teinté de méfiance, voire de peur. Du coup, c’est important de montrer ce Monsieur Ibrahim, et de dire : regardez, il a tiré sa sagesse de sa lecture du Coran, regardez cet homme, il est universellement reconnaissable comme un sage même si on n’est pas musulman. Regardez ce qu’il apporte aux autres. C’est vraiment inverser les peurs, lutter contre nos ignorances. »
C’est bien beau de prôner la bienveillance mais on a parfois l’impression que la combat pour la tolérance est perdu d’avance…
– E-E.S. : « Moi, j’ai le sentiment qu’il il y a des combats qu’on ne gagne jamais mais qu’il faut continuer. Ceux contre la bêtise, le sectarisme… Ce qui fait la beauté du combat, ce n’est pas la victoire, c’est la raison d’être du combat. Moi, j’ai compris au milieu de ma vie qu’il y a des combats que je ne gagnerai jamais mais que je mènerai toujours. »
Votre pièce a été publié dans plus de 50 pays. Comment expliquez-vous un tel succès ?
– E-E.S. : « Ça n’est pas arrivé qu’à ce seul texte ! Mes histoires, de manière générale, fonctionnent très bien à l’étranger. »
Ça veut dire quoi ? Que vous avez une écriture universelle, un regard universel, des histoires universelles ?
– E-E.S. : « J’ai découvert aux yeux des étrangers que j’étais français. C’est-à-dire que j’ai quelque chose qui leur paraît spécifiquement français, un mélange de profondeur et de légèreté. Alors c’est certes la France du XVIIe et du XVIIIe siècle plus que celle du XXIe mais du coup, je suis perçu comme un auteur capable de traiter de sujets graves, profonds, tout en étant divertissant, capable d’avoir de l’humour tout en étant philosophe, capable de cacher mon érudition pour être accessible à tout le monde. Ça leur semble une élégance française et ils aiment ça ! »
Récemment, un chanteur populaire a déclaré détester ce siècle. Est-ce votre cas vous aussi ?
– E-E.S. : « Pas du tout. Jamais les hommes n’ont vécu aussi longtemps, jamais ils n’ont été aussi peu confrontés à la douleur, jamais on n’a pu voyager autant et de façon aussi sûre, jamais le savoir n’a été aussi facilement accessible… Notre époque a des atouts exceptionnels. Après, les défauts qu’elle a, ce sont les mêmes que les époques antérieures. La bêtise, le sectarisme, l’égoïsme, le court-termisme, le règne du fric, le goût de la puissance… Rien de nouveau sous le soleil ! Je dirais que nos qualités sont nouvelles, mais nos défauts sont éternels… » B. Duchet
Spectacle le vendredi 15 novembre à 20 h 30 au Forum de Chauny.
Tél. : 03 23 52 23 52. Tarif : 30 €.