L’invité de Mousset

Chaque mois, Emmanuel Mousset s’entretient autour d’un café avec une personnalité de la ville.
Cette fois, c’est Francis Crépin qui, sans fausses notes, s’est plié à l’exercice. Celui qui fut autrefois prof de maths n’a jamais compté son temps pour entretenir la flamme de ses deux grandes passions : la musique et l’histoire. Un beau duo qui ne cesse d’aiguiser la curiosité de notre ami carillonneur…
Passionné : c’est le terme qui convient le mieux à Francis Crépin, de son propre aveu. Et ses passions sont multiples, à partir de deux centres d’intérêt : la musique et l’histoire. Il est le carillonneur officiel de l’hôtel de ville, parmi la quarantaine en exercice au niveau national. Devenu président de la Guilde des carillonneurs de France, il représente notre pays au festival de Chicago en 2015, jouant à Rockefeller Chapel sur un instrument géant à 72 cloches (37 à Saint-Quentin). L’orgue a aussi sa faveur : à la basilique, il est organiste-suppléant, accompagnant la liturgie quand il le faut, bien qu’il soit non croyant. Si la religion ne le convainc pas, Francis a toujours apprécié ses expressions artistiques. Déjà, à Douchy, enfant de chœur, il jouait de l’harmonium. Lors d’un office à Liesse-Notre-Dame où il exerçait son art, un prêtre est venu lui donner la communion : ce drôle de paroissien a décliné poliment. Mais son activité musicale est aussi profane : tout de bleu vêtu, il a participé pendant dix ans à l’Harmonie municipale, au piano, à la trompette et à la contrebasse.
« Le patrimoine, c’est autant les cathédrales que les usines »
En devenant président des Amis de la basilique, Francis Crépin conjugue la musique et l’histoire. Il en est membre depuis sa création, en 1966. Actuellement, il travaille sur la réfection de l’orgue, dont l’inauguration devrait avoir lieu en septembre 2023. Le jeune Francis, 18 ans, assistait à la précédente rénovation, en 1967. Notre passionné est un fidèle. De même avec la Société Académique, association savante d’histoire locale : « J’en suis le plus ancien membre et j’en ai été le plus jeune président. Pour moi, c’est une famille. » Francis Crépin est aussi un précurseur : en 1971, il crée les visites à la basilique. Aujourd’hui, il est guide-conférencier de la ville. En 2004, il fonde l’association du Campanaire, qui organise les concerts du carillon.
Les multiples passions de Francis Crépin trouvent toujours leur source à Saint-Quentin. Pourquoi court-il les églises de France à la recherche d’arbres de Jessé, la représentation biblique de la généalogie du Christ ?
Parce que notre basilique, à gauche de sa petite entrée, en expose un magnifique exemplaire. Cette passion, comme les autres, se vivent à deux : « Jamais sans ma femme ! Elle est ma complice artistique. » Ici ou ailleurs, Claire est avec lui, même quand une autre femme le séduit : Judith, dans le grand tableau du musée Antoine-Lécuyer, inspiré à nouveau par un motif vétérotestamentaire, la décapitation d’Holopherne. Et c’est reparti, le couple prospecte les lieux de culte et il arrive que l’épouse devance le mari : « Je t’ai trouvé une Judith ! »
Ce défenseur du patrimoine ne s’intéresse pas qu’au lointain passé : l’histoire moderne le concerne. Il y a les vieilles pierres mais aussi les hommes. Dans les années 90, Francis Crépin constitue l’association de sauvegarde du patrimoine industriel dans l’objectif de conserver l’usine Sidoux, un joyau architectural, rue Camille-Desmoulins. C’est alors la mémoire ouvrière et la culture technique qui le mobilisent. Francis réalise un film, monte des expositions, se bat pendant dix ans, en vain : tout sera détruit. Il en a gardé cette certitude : « Le patrimoine historique, c’est tout autant les flèches des cathédrales que les cheminées d’usine. »
D’où lui vient cette boumilie d’activités ? C’est de famille : « Mon père Victor, instituteur et secrétaire de mairie, s’occupait de tout dans le village : les déclarations d’impôts, l’organisation des spectacles, l’équipe de basket… Arrivé à Saint-Quentin, il projetait des films pour les écoles au cinéma L’Olympia et à l’Ecole industrielle (aujourd’hui INSSET) ». Francis Crépin a eu le goût des responsabilités très jeune : au lycée Henri-Martin, il est délégué de classe, puis représentant des élèves au conseil d’administration. Il n’est pas en reste dans sa vie de citoyen : marqué à gauche par son grand-père, militant laïque et socialiste, il n’hésite pas à descendre dans la rue pour soutenir les migrants ou protester contre l’extrême droite. Mais pas au point de s’engager dans un parti ou se présenter à des élections : « Je ne suis pas un militant ; être élu, c’est trop d’obligation. D’ailleurs, on ne m’a jamais sollicité. »
La passion chez Francis Crépin, c’est enfin son métier, sans grand rapport pourtant avec la musique et l’histoire : professeur de mathémathiques en collège. Il s’est toujours tenu à une présentation concrète et ludique d’une matière qui passe pour rébarbative. Cette science est aussi une morale qui nous apprend la rigueur, l’exactitude : ne rien affirmer qui ne puisse être démontré. Il en tire même une esthétique : la beauté des figures géométriques. Dans ces années 70, les établissements manquent d’enseignants et de locaux : dans des préfabriqués, Francis Crépin a à peu près tout enseigné, la technologie, la musique, la physique-chimie, les travaux manuels, le sport et le latin ! Au collège d’Harly, il propose à ses élèves deux ateliers, cinéma et théâtre, où il leur fait jouer des pièces dans la langue de Virgile. Douze ans après avoir quitté l’Education nationale, il le reconnaît sans fausse modestie : « Je n’ai pas été un mauvais prof. »
En traversant la grande place, si vous entendez carillonner en dehors des heures habituelles, arrêtez-vous et prêtez l’oreille. A la fin, une silhouette près de la statue du chien, en haut de l’hôtel de ville, viendra vous saluer d’un geste de la main : c’est lui, c’est Francis Crépin.