L’invité de Mousset

Dernière rencontre de l’année pour Emmanuel Mousset qui, chaque mois, s’entretient avec celles et ceux qui façonnent l’histoire de notre ville. Voici cette fois Marc Antonini, emblématique avocat de la cité des Pastels. Un maître dans sa partie, mais aussi dans l’univers du football où, contre vents et marées, il n’a cessé de défendre la cause de l’Olympique Saint-Quentinois…

C’est l’une des plus belles moustaches de la ville. Elle lui a été inspirée par le portrait de son arrière-grand-père qui avait fière allure. Depuis ses 18 ans, Marc Antonini ne s’en est jamais séparé. L’actuel bâtonnier de l’ordre des avocats de Saint-Quentin, pénaliste, est né à Feuquières dans une famille d’enseignants. Ses parents, professeurs de français en collège, sont mutés à Madagascar où le jeune Marc va vivre de 6 ans à 17 ans. Depuis, il a l’Afrique dans le sang : la joie, la fête, la générosité. « Je suis un Noir à la peau blanche. » Antonini, c’est un nom corse : il est resté fidèle à ses origines, retourne chaque année dans l’île de Beauté, en partage la culture, le sens de la famille, l’entraide.
Pourquoi se retrouver à Saint-Quentin dans les années 70 ? Son père Joseph est attiré par le lycée expérimental qui vient d’ouvrir à Henri-Martin. A l’entrée de la ville, un panneau signale la présence d’une plage : Marc espère voir la mer ; ce n’est que l’étang d’Isle. Les débuts sont difficiles dans l’appartement exigu de la rue Saint-André. Surtout il y a le climat, les gens et la vie, si différents du continent africain. Pour la première fois Marc Antonini voit tomber la neige. 50 ans après, il ne partirait d’ici pour rien au monde : « Saint-Quentin est belle, on ne s’y ennuie jamais. Les Picards sont des gens de parole, des courageux. »

« Le foot apprend la valeur de l’effort, c’est une école de vie »

Bac littéraire en poche, ce fils d’enseignants aurait pu intégrer l’Education nationale, d’autant qu’il a été très marqué par son prof de philo, un vieil anar parisien qui lui a transmis le goût de la réflexion. Mais voilà : « Encore aujourd’hui, la profession est peu considérée et mal rémunérée. » Marc Antonini choisit le droit à Amiens. Il ne se mettra pas au service des élèves mais de la veuve et de l’orphelin : avocat lui va bien. Il finance ses études en étant surveillant au lycée professionnel de La Ferté-Milon puis fait fonction de CPE (conseiller principal d’éducation) dans son établissement d’origine, Henri-Martin. C’est en 1981 qu’il enfile la robe, exerçant jusqu’à aujourd’hui à Saint-Quentin.
De son enfance africaine, Marc Antonini a gardé l’amour du football qu’il pratiquait avec ses petits camarades sur des terrains de fortune autour d’un ballon improvisé. Sous le maillot, les différences sociales, raciales ou religieuses disparaissent. « Le foot apprend la valeur de l’effort. C’est un sport sans frontière, à l’objectif très simple : marquer des buts. » A Saint-Quentin, Antonini continue de chausser les crampons, même s’il reconnaît ne pas être un grand joueur. Il entre très vite au comité directeur de l’OSQ (Olympique Saint-Quentinois), puis devient son président pendant trente ans. « Je me suis efforcé de concilier sport de masse et sport d’élite, ce qui n’est pas facile : permettre l’accès du club à tous et tirer chacun vers le haut pour sélectionner les meilleurs. Le foot, c’est une école de vie. »
Marc Antonini a aussi pratiqué un autre sport, plus risqué : la politique. Sa sensibilité est l’humanisme. Dans les années 80, cet homme de gauche rejoint le Parti socialiste, tendance Rocard et Delors. Il n’y milite qu’une dizaine d’années, fatigué des chicayas entre courants. L’effondrement de ce grand parti, il l’a pressenti à ce moment-là. Ni candidat ni élu, sans ambition personnelle, il est resté un adhérent de base. « La politique, c’est un métier difficile, à temps complet. Ce n’était pas ma place. »
Et puis, il y a la psychologie propre à ce milieu. Pour la décrire, Antonini pastiche une formule de l’un de ses philosophes préférés : « Pour réussir, il faut penser et pencher », comme le célèbre roseau de Blaise Pascal. Courbettes et courtisanerie ne conviennent pas à cet esprit indépendant. Un collègue avec qui et contre qui il a plaidé a pourtant réussi sans plier, mais son parcours est atypique : le ministre de la Justice Dupont-Moretti. A l’occasion de sa récente relaxe, Antonini l’a félicité d’un texto. « Merci mon pote », lui a répondu le garde des Sceaux.
Sa place, l’avocat va la trouver ailleurs qu’en politique, d’une façon inattendue. En socialiste, il participe à un rassemblement syndical le 1er mai devant la Bourse du travail. A la fin, un inconnu l’aborde et lui offre un verre : c’est un policier des Renseignements généraux, les fameux R.G. ! Au fil de la conversation, l’homme lui confie qu’il est franc-maçon et se propose de le parrainer pour entrer au Grand Orient de France. Quelque temps plus tard, il passe sous le bandeau. Initiation réussie, Maître Antonini devient frère Marc. L’humaniste y trouve son compte. Il poursuit jusqu’à aujourd’hui en loge le travail sur les symboles.
Dans le métier, quelle affaire l’a-t-elle le plus marqué ?
« Le triple meurtre au Grand Hôtel en 1997. J’étais l’avocat de l’une des victimes, une jeune femme, l’innocence même devant l’inexplicable barbarie. » De quoi méditer sur la nature humaine en citant un proverbe indien : « Il y a deux loups en l’homme, l’un vertueux, l’autre vicieux. Celui qui gagne, c’est le loup que tu nourris. » Marc Antonini ajoute : « Je suis malgré tout un optimiste, un amoureux du genre humain. » Il n’est pas devenu professeur de philosophie mais n’a rien perdu au change.