C’est tout un pan de l’histoire du quartier du Vermandois qui est en train de partir en poussière avec la démolition de l’immense bâtiment de briques qui aura eu pour derniers locataires nos amis du journal L’Aisne Nouvelle. Début mars, après une phase de désamiantage, une armada de bulldozers et de pelles hydrauliques s’est lancée à l’assaut de cette parcelle de plus de 6 000 m2 en forme de triangle rectangle, cernée par la rue Caulaincourt, le boulevard Henri-Martin et la rue des Glacis. De quoi profondément bouleverser la physionomie du quartier qui affiche désormais un tout nouveau visage, à la fois plus éclairé et aéré.
Impossible toutefois de ne pas avoir un pincement au cœur en songeant à cette ancienne usine qui, parmi bien d’autres, a symbolisé la prospérité d’une ville alors en plein essor grâce à l’industrie du textile… Faisons donc un saut dans le temps pour nous retrouver au XIXe siècle et plus précisément en 1865. Cette année-là, un certain Eugène Lebée décide d’implanter dans le quartier du Vermandois une usine de passementerie qui portera son nom. Sont notamment produites sur place des crinolines, sorte de jupons bouffants en crin garnis de baleines destinées à donner du volume. Un accessoire de mode très en vogue à l’époque. En 1876, Eugène Lebée transfère sa passementerie du côté de la rue Félix-Faure et décide de louer ses ateliers de la rue Caulaincourt à la société Chatelain & Black, nouvellement créée. Le site est alors reconverti en tissage de coton. Dans les décennies suivantes, les bâtiments, qui n’ont cessé de s’agrandir, vont passer de main en main en changeant d’enseigne. Après Chatelain & Black, place à l’usine de Caulaincourt Décaudin & Béguin, puis la Cotonnière de Saint-Quentin qui, de fil en aiguille, cédera finalement sa place à la Confection Cotariel. Nous sommes alors dans les années 70 et l’âge d’or du textile a malheureusement du plomb dans l’aile…
Exit le tissu, c’est désormais le papier qui va prendre le relais avec l’arrivée le 1er septembre 1979 de L’Aisne Nouvelle, qui a décidé de quitter son siège historique, situé au n° 33 de la rue Raspail. Le journal emploie alors plus d’une centaine de personnes et dispose sur place de ses propres rotatives. « Le site appartenait à cette époque aux transports Citra, qui nous l’ont loué plus d’une dizaine d’années avant que le journal ne se décide à le racheter dans les années 90 pour 4 millions de francs de l’époque », se souvient Alain Collet, ancien rédacteur en chef de L’Aisne Nouvelle.
En proie à des difficultés financières, le journal tombe en mai 2004 dans l’escarcelle du groupe Hersant qui, quelques mois plus tard, fait fermer l’imprimerie. C’est désormais à Reims, sur les rotatives du pôle CAP (Champagne-Ardenne-Picardie) que L’Aisne Nouvelle est imprimée. Devenus vétustes et surtout beaucoup trop vastes, les locaux du boulevard Henri-Martin font peine à voir dès qu’on franchit les portes. En 2013, le titre change une nouvelle fois de main pour devenir propriété de Rossel, un groupe belge déjà à la tête de La Voix du Nord. Le déménagement du journal pour la rue Arnaud-Bisson est programmé la même année. Fin de parcours pour le site industriel du quartier du Vermandois qui, huit ans durant, va jouer les navires fantômes avant d’être définitivement touché-coulé. Après la destruction des bâtiments, c’est donc un site de plus de 6 000 m2 qui est appelé à renaître de ses cendres.
Que songent en faire nos amis belges du groupe Rossel, propriétaires des lieux ? « Nous l’ignorons encore (sic). D’ailleurs, je vous demande de ne rien écrire sur le sujet », nous intime par téléphone, sur un ton très balladurien, un dénommé Jean-Marc Pétein, directeur des achats chez Rossel. Fichtre ! Aux dernières nouvelles, ce sont des logements du secteur privé qui devraient voir le jour sur place.